Le renouveau de la piquette
Piquette par-ci, piquette par là. On attend de plus en plus parler de ce breuvage. Mais qu’est-ce que c’est exactement? Comme les pop-up virtuels s’envolent, mais les écrits restent, on vous partage un texte écrit par la geekylicious Emily Campeau qui nous explique tout ce qu’il faut savoir sur cette boisson.
La piquette est un breuvage simple, à la croisée des chemins entre une limonade pour adultes, un spritzer, et le buzz d’une bière. C’est comme mettre de l’eau gazeuse dans du vin, mais en moins judgemental.
La piquette, connue sous plusieurs autres noms (acquerello, haustrunk) est un produit dérivé du vin. On ajoute de l’eau à la pomace (donc ce qu’il reste dans la presse quand le vin est pressé) pour faire macérer et fermenter le reste des sucres présents dans celle-ci. Les Romains et les Grecs faisaient leur version qu’ils appelaient lora ( j’ai aussi vu lorca) qui était servie aux travailleurs et aux esclaves.
C’est un produit fait depuis la nuit des temps par les vignerons, pour leur propre consommation, ou encore pour abreuver leur staff de vendanges sans que ceux-ci deviennent alourdis par l’alcool à l’heure du lunch. Un genre de jus de raisin dilué qui donne un light buzz. Le mot est aussi devenu synonyme de vin de piètre qualité, ce qui n’a pas aidé à sa réputation.
La fantastique vigneronne Jess Miller de l’Oregon l’explique très bien, en comparant la piquette avec la deuxième infusion d’une poche de thé. Les saveurs plus marquées et intenses sont allées dans la première tasse, mais la deuxième plus légère convient très bien lorsqu’on a envie de continuer à boire.
L’histoire du renouveau de la piquette en Amérique du Nord peut être créditée à une personne que j’aime beaucoup et dont j’admire assurément le travail : Todd Cavallo de chez Wild Arc Farm. Son ami, propriétaire de Kingston Wine Co., magnifique boutique de vins d’auteurs, lui a montré un passage du livre The Red and the White : The History of Wine in France and Italy in the Nineteenth Century, un livre de Léo A. Loubère où il était question de piquette. La curiosité de Todd était piquée et, après des essais sur le millésime 2016 il commence la production en 2017 de ce qui deviendra la première piquette vendue commercialement aux États-Unis.
Todd et sa femme possèdent une petite ferme en permaculture dans la Vallée de l’Hudson, complétée par de l’achat de raisin. C’est une micro-entreprise, axée sur la rentabilité de leur petit écosystème. Ils cherchaient un moyen d’utiliser leur pomace, et la seule avenue possible leur semblait être la distillation. Puis, Tristen est arrivé avec l’idée de la piquette. Todd est un gars TRÈS sharp et a peaufiné sa recette de la façon qui suit.
Il produit de la piquette avec la plupart des presses de ses vins, de toutes les couleurs. Chaque pomace est couverte d’eau, macère pendant 48 heures, refermente légèrement, et ensuite 15 % du vin fini de cette pomace est ajouté au mélange, afin de stabiliser le produit et en descendre un peu l’acidité et le pH, pour une forme de protection. Todd vieilli ensuite cette piquette quelques mois en barriques. Finalement, il ajoute un peu de miel (ce pourrait aussi être du moût ou du sucre) pour refermenter en bouteille et avoir une petite bulle légère. La cible est d’avoir entre 2,5 et 3,5 bars de pression, entre une bière et un vin frizzante en texture.
Plusieurs autres domaines aux USA lui ont emboîté le pas, flairant une mode et une expérience enrichissante. American Wine Company, Liten Buffel, Old Westminster, Southold Farm + Cellar, Pax Mahle (qui en sert en fût à son domaine), Patrick Cappiello et probablement plusieurs autres maintenant.
Wild Arc propose maintenant sa piquette en bouteille de 750 ml, et en canette, ce que je trouve génial.
La piquette n’est pas un breuvage qui veut être pris très au sérieux. C’est bas en alcool, parfait pour boire à tout moment de la journée, peu enclin à l’analyse approfondie. Et surtout, à une buvabilité re-mar-qua-ble. Cela dit, il est possible d’y détecter de la complexité et un excellent goût. Mais il faut l’approcher avec une bonne dose d’humour. Comme s’ouvrir une canette de Coors Light, mais en mieux.
Certains de ses détracteurs, dont plusieurs wine writers très connus qui n’ont peut-être pas une très grande prédisposition au plaisir, trouvent qu’utiliser une matière première qui devait partir au compost est scandaleux. Jancis Robinson avance même, dans Oxford Companion to Wine : « In the early 21st century, with its wine surplus, labour shortage, and concentration on quality, few employers would dare to offer even the most lowly worker such a drink ». Meghan Kriegbaum, dans un article pour PUNCH publié en début d’année, dit que : « This is literally bottom-of-the-barrel stuff. Kudos to the winemakers who have literally made something out of nothing, but there’s so much good wine to drink, I don’t really see the point of this. » J’ai aussi lu « I’m not looking to get drunk off of the leftovers of a company just looking to make more money » qui m’a bien fait sourire. Il semblerait que les wine professionals américains ne sont pas particulièrement chauds à ce nouveau produit. Qu’à cela ne tienne moi je dis : ça fera plus de piquette pour ceux qui aiment ça.
Dans le coin gauche du débat se tiennent les gens qui apprécient la piquette pour ses qualités, c’est-à-dire la possibilité d’en boire de grandes quantités dues à son taux bas en alcool et son goût ultra rafraîchissant et ludique. La Très Grande Sommelière Pascaline Lepeltier y a même consacré un des ses éditoriaux dans la Revue du Vin de France en avril 2020. Elle dit dans son éditorial : « Avec la demande grandissante pour les wine coolers ou les autres boissons moins alcoolisées, avec le goût pour les sour beers et les pet’nat et la volonté de consommer mieux à tout point de vue, la piquette, produit de recyclage à 7 % d’alcool, sûrette et légèrement pétillante, trouve un marché mûr ».
Piquette is clearly en voie de devenir A THING.
Dans un monde où plusieurs d’entres nous ont envie de faire le plus d’upcycling écologique possible, des solutions simples et excitantes comme la production de piquette sont tout naturellement des avenues à emprunter. Et le marc partira quand même au compost, après avoir vraiment donné TOUT ce qu’il avait dans le ventre. On a du vin, on a de la limonade, on a de la matière organique et littéralement tout le monde est content.
C’est donc en échangeant avec Todd que Christoph et moi avons décidé de faire une production de +/- 350 bouteilles de piquette le millésime dernier. L’idée n’est pas de la vendre, du moins pas celle de 2019, mais juste de voir si y’avait du potentiel. WOWOWOWOW. Y’en a.
L’avantage de travailler pour un plus gros domaine (Weninger, où mon chum est toujours maître de chai) c’est qu’on a de l’équipement, de l’espace et de la matière première. Notre recette calque pas mal en tout point celle de Todd, sauf pour une étape cruciale. Christoph et moi avions envie de vraiment capturer le fruit et le momentum des dernières journées chaudes des vendanges ; nous n’avons donc pas fait de vieillissement prolongé. Quelques jours de fermentation, ajout de vin et de miel et hop direct en bouteille (on s’est posé la question si le vieillissement était nécessaire et avons conclu que non). Lorsque nous avons rentré les raisins blancs en 2019, nous avons tout de suite remouillé à l’eau nos presses directes de pinot blanc et de furmint. Nous les avons assemblées et embouteillées avec une pointe de miel. Lorsque les raisins rouges et TEINTURIERS pour notre petnat sont rentrés (un clone très weird de Blaufränkisch qui tache qui fut croisé dans la ville d’Eisenstadt mais n’a jamais donné de résultats concluants et est sombré dans l’oubli ; il y a quelques fins de rangées de ça chez Weninger) nous les avons pressés en direct aussi, et avons remouillé la pomace, qui est devenue pitch black tellement le raisin a de couleur. Nous l’avons donc surnommé avec affection : Schwarzpikette.
Lorsque notre ami influenceur Stache est venu nous donner un petit coup de main en septembre, nous étions ultra excités de goûter la piquette. Hélas, il n’y avait pas de bulles. On a bien ri, mais on s’est trouvés cons d’avoir pensé qu’on réussirait du premier coup. Par contre, 3 semaines plus tard, SURPRIZE. Il fallait seulement être un peu plus patients, ce qui n’est pas ma plus grande qualité (je travaille là-dessus). La bulle était franche, ça goûtait méga bon, on avait souvent envie de ne boire que ça à la maison et nous étions vraiment contents du résultat. L’année prochaine, il y aura certainement une bonne partie de notre production (de vin) qui aura une deuxième vie !
Surtout depuis qu’on a découvert le cocktail ultime : une bonne grosse shot de vermouth allongé à la piquette. Version rouge ou blanche, on a tout ce qu’il faut. Ce cocktail est encore exclusivement distribué dans notre cour en Hongrie ou dans des évènements spéciaux, souvent en République Tchéque.
À boire
Intrigués par la piquette ?
Composées de pinot blanc à 100 %, ces bulles sont parfaites pour une journée à l’extérieur. À boire en jouant à la chaise musicale autour d’un buffet de chips et autres grignotines.
Emily Campeau est une sommelière, vigneronne et chroniqueuse à la plume juste et franche.
Pour la suivre: @emycampo_