Du hast mich gefragt…réponses éparses sur l’effervescence de l’Allemagne viticole actuelle
Première partie
Fut un temps où essayer de convaincre clients, amis, famille et autres quidams que les vins provenant d’Allemagne ne sont pas tous absolument insipides et sucrés était une job à temps plein. Un traumatisme collectif existe toujours encore, propulsé à son paroxysme par des décennies de Black Tower et de Aufkellerein aux partys de Noël, ou, si votre famille était semblable à la mienne, à chaque souper moyennement festif. Il n’est pas incompréhensible ce traumatisme; après tout, pourquoi vouloir se faire mal au foie, à la tête et surtout au pancréas quand nos parents ont sacrifié les leurs pour nous? Mais tout comme nous avons donné une deuxième chance au céleri après sa période Cheez-Whiz, et finalement découvert le vrai crabe des neiges après des salades douteuses alimentées à la goberge, on a pu apercevoir d’éventuelles failles dans le mur de refus érigé devant les vins allemands.
Même si certains clients s’insurgent encore à la VUE d’une bouteille de forme alsacienne en pensant que son contenu sera sucré, plusieurs d’entre eux se laissent convaincre à force de flattage de dos et de campagnes de propagande positive. Un effort collectif mené par moult sommeliers, importateurs, et même cette nouvelle catégorie si attachante qui traverse nos écrans, les vinfluenceurs. Le vin allemand a le vent en poupe, et j’ose déclamer ici que c’est en partie grâce aux multiples producteurs aux tendances moins interventionnistes de viticulture et de vinification des vins, qui connaissent certainement un franc succès sur la grande carte des vins mondiale. Couplés aux producteurs illustres—mais trop souvent conventionnels—qui ont lentement rebâti la réputation qualitative des vins allemands depuis 30 ans, on assiste enfin au regain du momentum d’un pays produisant d’hier à aujourd’hui certains des vins les plus célébrés du monde. Cette nouvelle vague de vignerons est très souvent ignorée lorsqu’on enseigne sur l’Allemagne, mais j’argumente ici qu’elle est d’une importance CAPITALE, car elle couvre l’entièreté du territoire et non pas que les régions plus connues sur la marché de l’export. Il est donc grand temps de faire une place à ceux qui font briller l’Allemagne actuelle, et de profiter de l’occasion pour une petite leçon de révision.
Leçon de vie
Pour me préparer à l’atelier du 4 juin, j’ai passé plusieurs semaines à lire, rechercher, et me questionner sur l’Allemagne, ainsi que sur mes propres visions du monde viticole moderne au sein de celle-ci. C’était un devoir facile, car depuis toujours, je suis fascinée par ce pays, sa culture, son histoire, ses vins, sa gastronomie, son passé sérieux et choquant. Certains même diraient que le fait que j’ai marié un Allemand était calculé. Moi je considère ça plutôt comme une chance inouïe. Je suis aussi férue d’histoire du XXe siècle, particulièrement entourant les deux guerres, les contextes géopolitiques et bien sûr les conséquences que celles-ci ont entraînées sur le monde viticole. Bref, j’ai choisi ce sujet avec l’envie de parler de quelque chose que je connais bien et que je trouve intéressant, car je me voyais mal traiter d’un sujet complètement nouveau dans l’état moitié anxieux, moitié léthargique dans lequel m’avait plongé la pandémie. Me préparer à cet atelier m’a donné une bonne raison de rester sharp et de ne pas capoter.
Toujours est-il que dans ce grand spectre de préparation, je me suis enrôlé pour un séminaire web donné par une des « grandes organisations élitistes du vin » pour aller pêcher quelques idées sur comment aborder certains sujets. Mon plan n’était toujours pas très clair dans ma tête et c’était source de stress, car le sujet que j’avais choisi en est un qui totalise des centaines d’années de traditions et de connaissances et synthétiser n’est souvent pas ma plus grande force. J’avais besoin d’un angle.
À la douzième minute de ce séminaire, je roulais déjà des yeux à profusion. Encore une fois, on proposait le genre de présentation qui survole les quatre mêmes régions, les mêmes généralités, et passait trois quarts d’heure à essayer de démystifier le système des Prädikats. Il présentait le VDP en expliquant que dans cette organisation se trouvent la plupart des producteurs de grande qualité. Lorsqu’il a dit qu’aucun vin fait de müller-thurgau n’était vraiment intéressant et qu’il était rare de trouver un vin qualitatif classifié en Landwein, j’ai arrêté d’écouter et je suis allée me baigner pour me détendre.
Leçons angulaires
Quoiqu’étant des informations importantes que celles de savoir démystifier la nomenclature actuelle de l’Allemagne et ses multiples réformes pour un professionnel du vin, je constatais dès lors que, malgré le niveau de connaissances générales fort supérieur au mien du présentateur, j’avais une longueur d’avance sur le sujet de l’Allemagne, que j’avais une vue d’ensemble.
Que je connaissais très bien les régions viticoles toujours sous-estimées, très souvent contournées par tous les professeurs de sommellerie faute de temps. Et que je connaissais dans presque toutes ces régions au moins UN, voir des dizaines de producteurs excitants qui font rayonner leur région respective. Des producteurs qui ont plusieurs traits en commun, dont un majeur, qui est d’être singulier et de rejeter les conventions. Certains travaillent en bio, ou sont en conversion, certains ajoutent moins ou pas de soufre, certains sont champions de biodynamie, certains sont tout ça à la fois. Et surtout, ils sont éparpillés aux quatre coins des régions viticoles, d’ouest en est, certains classifié dans des appellations, mais plusieurs affichant des origines plus simples…de Landwein. Ces producteurs qui pour nous, amateurs de vins vivants stimulés par la découverte, semblent omniprésents dans notre paysage quotidien, mais qui, dans le monde du vin disons plus... consensuel…sont très peu souvent mentionnés. Ils méritent qu’on discute de l’évolution de l’Allemagne et qu’on craque un peu son image figée dans le temps. Les choses se passent, maintenant, right meow.
Je suis une ardente promotrice de l’éducation dans le monde du vin, et je n’entends pas ici dénigrer l’approche de plusieurs systèmes d’enseignement, car je comprends les limites de temps et la réalité d’avoir énormément de matière à couvrir. Mais je voudrais profiter de cette plateforme pour faire ce qui est peu commun, c’est à dire un vol d’oiseau au-dessus des 13 régions viticoles allemandes en soulignant les producteurs qui sont pour moi des références attrayantes. C’est biaisé j’en conviens, mais pour une fois, biaisé du côté sombre de la force.
C’est donc ainsi qu’est né le titre de la formation « un crash course sélectif » et mon idée de discuter joyeusement d’histoire, de géographie, d’évolution, de vin dans une perspective peu interventionniste et surtout, inclusive des 13 régions allemandes.
Leçon de base
Un point important souligné par le présentateur dans son séminaire, et avec lequel je suis en accord, est que le vin allemand, de l’extérieur, peut parfois être épeurant. Pas forcément dû à sa réputation malsaine qui, vous le savez maintenant si vous le ne saviez pas déjà, n’est que poudre aux yeux, mais bien à cause d’un facteur important: la langue. L’allemand contient beaucoup de lettres et de sons qui sonnent fort complexes à nos oreilles modelées à une langue romaine. Je l’étudie depuis quelques années et malgré mes efforts, les résultats sont lents à constater. Mais il n’est pas nécessaire d’être fluide en Deutsch pour apprécier de nombreuses bouteilles. Certes, ça aide.
Mais lorsque certains concepts de base sont compris, il est assez facile de s’y retrouver. Une des grandes contradictions allemandes est que malgré toutes les informations inscrites sur les étiquettes plus traditionnelles, elles donnent souvent peu d’indications sur le style de vin contenu dans la bouteille. C’est pourquoi le mot le plus important à connaître est sans doute trocken qui veut dire sec. Il y en a beaucoup d’autres, mais j’essaie d’éviter de donner un cours de vocabulaire. Voici donc d’autres ressources pour en apprendre un peu plus, si le cœur vous en dit:
Comprendre l’organisation et les étiquettes (en anglais) ; et
Et pour une foule d’informations générales concernant les vins allemands et surtout de superbes cartes où l’on peut zoomer pour bien comprendre le terrain (en anglais).
Pour savoir plus sur cette organisation qu’est le Verband Deutscher Prädikatsweingüter (VDP), qui en sont les membres et aussi se faire une opinion si celle-ci est toujours d’actualité ou plutôt désuète et élitiste, et comprendre leur système d’appellation basé sur le modèle bourguignon (en anglais):
Leçon de rébellion
Or, de plus en plus de producteurs s’illustrent aussi en dehors des systèmes d’appellation, en choisissant de seulement se classifier au niveau de Landwein (pour une liste de toutes les appellations régionales, c’est par ici) et même parfois d’encore plus plus général : Deutscher Wein (équivalent de Vin de France par exemple). Comme dans tous les autres pays producteurs de vin européens (et aussi dans le Nouveau Monde), le système d’appellation en place peut souvent sembler castrant et peu inclusif, recensant des facteurs « normatifs » de goût et de représentation régionale. Bien que les appellations aient leur place et leur utilité, on leur reproche souvent de créer une uniformité parfois trop cadrée des vins d’une région donnée, ou même de rejeter ceux qui proposent des vins un peu/très marginaux. La décision finale revient au producteur, à savoir s’il s’identifie à la dénomination locale ou non, ou de soumettre ses vins pour validation par les comités régionaux. À noter que certaines appellations sont plus souples que d’autres.
Cela dit, de nos jours avec de plus en plus de déclassification volontaire, il est injuste de dire que les catégories moindres de vin sont indicatrices du niveau de qualité, car trop d’exceptions prévalent. Il est préférable de faire son éducation en s’intéressant cas par cas aux différents producteurs, car la catégorie de simple Landwein renferme de véritables perles et vignerons émérites. Cela prévaut pour l’Allemagne ainsi que plusieurs autres pays/régions.
Cela dit, il existe plusieurs producteurs absolument merveilleux au sein des appellations aussi, qui réussissent à trouver leur compte avec les autorités en place et s’identifier au style régional. C’est une décision personnelle du producteur, et tous ceux que j’aime, peu importe leur allégeance, seront notés ci-bas.
Leçon de voyage et d’amour
Mon amour pour les vins allemands s’est développé presque du jour au lendemain, en une soirée poche où je faisais mes impôts lorsque j’habitais à New York, et que je buvais une bouteille de Hofgut Falkenstein. Ayant surtout consommé des vins français (plutôt nature, soyons honnêtes), car j’habitais en France durant ma vingtaine, cette nouvelle catégorie de vin m’était peu familière. Sous l’insistance d’un de nos cuisiniers chez Racines qui avait passé une vendange en Mosel chez Clemens Busch, je me suis mis à acheter quelques bouteilles. De Clemens donc, et Falkenstein, et Weiser-Künstler, et Vetter, et Vollenweider, et Kühn, et Lauer et pas mal tout ce que je pouvais trouver dans la section Allemagne de Chambers Street Wine. Très vite, étant de nature obsessive, j’ai multiplié les questions et les opportunités de goûter. À mon retour au Québec, je suis vite tombée dans le portfolio de l’agence d’importation privée Ward & Associés, et aussi vite tombée en amitié solide avec ces gars-là. La graine était semée, et le futur du restaurant Candide, qui avait et a toujours une section riesling (de partout) sur sa carte et beaucoup de vins allemands en permanence, l’était aussi. Une grande partie de mon éducation fut aussi d’avoir le bonheur de participer deux ans de suite comme sommelière à la légendaire fête appelée Rieslingfeier, à New York, où des producteurs et collectionneurs se rassemblent pour célébrer le meilleur cépage du monde (opinion très biaisée) en ouvrant des bouteilles toutes plus vieilles les unes que les autres. Quoique je ne suis pas une grande fan de ce genre d’orgie où il y a beaucoup de gaspillage, de concours de qui a la plus grosse/vieille/rare, où l’on oublie souvent de savourer le vin, j’y ai tout de même goûté des vins plus vieux que mes grands-parents, ce qui a enrichi mon palais et mon intérêt. Mais j’avais toujours de plus en plus envie de découvrir l’autre Allemagne, celle plus champ gauche, qui commençait alors à émerger et se faire une place de taille sur le marché. C’est pourquoi quand les gars de Ward & Associés m’ont proposé de me joindre à leur voyage en 2016, j’ai dit oui avec enthousiasme.
Je repense souvent à ce voyage avec beaucoup d’affection, de nostalgie.
A posteriori, c’est probablement le moment même où le déclic s’est fait qu’un jour je serais vigneronne. J’ai eu peu de temps pour penser à ça durant le voyage, car tout allait si vite, et que les matins un peu fripés s’accumulaient, mais j’ai tellement appris en 8 jours et je suis revenue la tête pleine de questions. Il faut remettre en contexte que ceci était mon premier VRAI voyage vinicole, et que je rencontrais des gens comme Rudi Trossen et le couple Schmitt, qui étaient déjà bien avancés sur le chemin du sans soufre, de la biodynamie et des pensées minimalistes.
Pour la deuxième fois dans ma vie, je prenais la porte de derrière dans le monde du vin. La première fois, c’est quand j’ai commencé à boire du vin nature avant de découvrir le vin conventionnel. Et l’autre, c’est quand j’ai mis les pieds dans les chais d’anarchistes avant de comprendre que le reste du monde du vin… c’est pas exactement ça. Oui, les deux fois que j’ai compris la réalité ont fait mal. Très mal.
David Ward et Alex Boily m’ont donné une occasion en or de poser des questions et m’imprégner du savoir des vignerons qu’on a vu durant ce voyage, en me transportant dans leur univers. Encore aujourd’hui, peut-être ne savent-ils pas à quel point leur influence fut déterminante sur la suite de ma vie.
Outre quelques moments classés confidentiels impliquant des nez cassés dans des Discoteks, et de multiples tournées de shots de schnapps à la menthe dans des bars où on pouvait fumer en d’dans, le reste fut assez agréablement civilisé. Alex nous conduisait d’une place à l’autre à 160km/h sur des airs de Thomas Fersen, et on a vu une poignée de producteurs en 4 jours. De goûter 35 rieslings chez Clemens en sortant de l’avion, à refaire le monde autour d’une table couverte de bouteilles chez Trossen, à manger 12 kg de fromages en devenant instantanément amis avec les Schmitt, on a parcouru du chemin. Après avoir déposé les gars à l’aéroport de Frankfort, j’ai pris un train (on prends toujours un train!) vers Falkenstein, où j’ai parcouru la Saar pendant 3 jours dans le vieux pick-up de Johannes, cuisiné pour toute la famille, pressé les pinots noirs et chillé avec les Weber.
Histoires de circonstances: mon mari, Christoph, que j’ai rencontré en 2018, travaillait à cette époque chez Clemens Busch. Nous avons sûrement été à quelques mètres de distance pendant ce voyage sans jamais nous rencontrer. Fucking weird la vie.
Suite à ce voyage, j’ai redoublé d’efforts pour être constamment à la page, en suivant de près l’évolution des projets qui se multipliaient à une vitesse folle. Encore aujourd’hui, chaque semaine amène une nouvelle piste, ou presque. Je continue humblement d’apprendre de tous ces vignerons et de me rendre en Allemagne le plus souvent possible, où se trouve ma belle-famille, dans ma région favorite (je le jure ce n’était pas calculé), le Württemberg. Je m’empiffre de Maultaschen et des saucisses de sanglier faites par mon beau-frère chasseur, je bois de grandes quantités de trollinger, j’essaie d’apprendre leur jeu de cartes absolument pas l’fun et trop compliqué, et je me prends parfois, souvent, à rêver d’un avenir proche où on déplacera enfin nos pénates pour s’y installer, nous aussi.
Emily Campeau est une sommelière, vigneronne et chroniqueuse à la plume juste et franche.
Pour la suivre: @emycampo_